Je m'étais dit que j'avais besoin d'aventure. Vous savez, aventure comme dans partir en backpacking ? Bon, pas très loin, pas très longtemps, d'accord. Mais le backpacking, contrairement au voyage planifié, avec hôtel réservé, trajet tracé et voiture remplie à ras bord de bagages pour être certain de ne manquer de rien, permet de déconnecter complètement, de sortir de la réalité, de vivre le quotidien autrement en nous ramenant à des besoins de base, comme trouver une endroit où dormir, faire à manger et faire du feu.
Jamais je ne m'étais sentie aussi heureuse que la fois où, à 23 ans, j'étais partie trois mois en France et en Espagne avec ma tente, à errer entre la Bretagne, la Corse et Séville, à dormir dans les trains et à aller où me portaient mes humeurs. Ma vie se résumait à cela : partir, prendre un train, trouver un terrain de camping, manger, visiter des lieux, ou plutôt vivre des lieux. Dans cette vie, il n'y a pas d'avenir, pas de passé; le présent est l'unique façon d'exister. On se sent jeune, on se sent libre, on sent que tout est possible.
J'avais réitéré l'expérience à 25 ans (moins longtemps, deux semaines) pour traverser l'Ouest canadien avec Monsieur M. C'était comme un voyage de noces. On faisait du stop, on dormait dans les cars, et le temps n'existait plus.
Aujourd'hui, je n'ai plus vraiment l'occasion de partir comme ça. À 31 ans, les choses changent. Déjà, on se sent moins forts pour transporter un sac de 20 kilos sur notre dos. Et puis la vie nous amène à faire des choix, comme se poser, structurer sa vie, payer ses dettes d'études, avoir un emploi et le garder, mettre de l'argent de côté. Tout cela finit par sembler plus important que l'errance, parce qu'on se voit vieillir, et on veut être autonomes. Mais voilà, cette époque d'insouciance et d'aventure me manque, me rend parfois nostalgique.
Bref, j'ai eu envie d'aventure, ce qui est toujours une bonne thérapie contre l'engourdissement cérébral et physique.
Ça tombait bien, parce que justement mon amie S. m'a demandé si j'avais envie de partir avec elle en camping à Burlington. Que oui. Et quelle aventure ce fut.
Et donc on a paqueté nos bagages et on a sauté dans un car qui nous amenait directement à Burlington.
Se retrouver perdues dans une ville qu'on ne connaît pas. Demander notre chemin. Chercher le bon autobus qui nous amène au bon camping. Susciter le regard des passants. Parfois de beaux passants, nous renvoyant des regards complices; deux filles qui voyagent avec un sac aussi gros qu'elles sur le dos, ça attire l'oeil et l'admiration. Et la sympathie des gens.
Comme les lois de l'aventure l'exigent, le camping dans lequel nous voulions passer notre séjour était plein. Oh, je vous rassure : j'avais appelé et écrit avant de partir, mais je n'ai jamais eu de réponse. Je n'ai jamais pu réserver, mais on s'était dit que la chance serait de notre côté. Elle ne l'a pas été. Soit.
On s'est alors retrouvées dans le pire camping que j'aie vu de ma vie. Sans blague. Très loin de Burlington en plus. Impossible de s'y rendre à pied ou même en vélo ou en bus. C'est un taxi qui nous y a menées, et ça a coûté cher. On était prises là. Pas d'autre choix possible, et puis la fatigue commençait à nous gagner.
Un camping tout moche, du type "parking à roulottes", dont la clientèle se caractérise par un manque de goût flagrant tant dans choix de la déco de sa roulotte que dans sa façon d'interpréter le savoir-vivre. À l'accueil, dans une espèce de cabane en bois compressé qui puait le vieux pipi, un rouquin nous a accueillies de son regard terne et empreint d'une indifférence profonde pour la vie en général.
Les toilettes étaient dégueulasses. D'une propreté plus que douteuse. Il n'y avait pas de savon et le sèche-mains ne fonctionnait pas. Je n'ai même pas pris de douche. J'ai préféré rester dans mon odeur de swing. La plage mentionnée dans le dépliant en tant qu'un atout du site s'est révélée un carré de boue de six mètres carrés dans lequel barbotaient quelques enfants. Pas de village près; pas de magasins. De l'atmosphère du camping se dégageaient des notes de désespoir, de pauvreté, comme celles qui émanent d'un lieu où on n'est que de passage, où on arrive tard la nuit et d'où on repart tôt le matin, comme ces motels vétustes et tristes qui jonchent le bord des autoroutes.
On s'est senties abattues, mais à la fois euphoriques. On a tellement ri qu'on a fini par pleurer. Ou on a tellement pleuré qu'on a fini par rire. Je ne sais plus très bien dans quel ordre.
Bonne nouvelle, il y avait une piscine, et notre emplacement pour la tente était tout de même acceptable. On a découvert un quai où on a fini l'après-midi les pieds dans le lac Champlain. On a trouvé du bois pour faire du feu. On a préparé notre souper avec le petit réchaud de S. On a bu beaucoup de vin et on a parlé longtemps en contemplant les flammes. Le bonheur se trouve parfois dans des gestes très élémentaires. Notre joie et notre excitation en allumant le réchaud vous sembleraient probablement incompréhensibles et pathétiques. Notre fascination devant un gâteau au fromage lyophilisé qui prend forme grâce à un peu d'eau pourrait paraître ridicule de l'extérieur, mais quand on le vit, on se sent comme un enfant qui découvre pour la première fois un Jolly Jumper.
Le lendemain, on a repaqueté nos affaires et on a sacré notre camp - oui, l'expression est choisie, car nous ne sommes pas parties, mais nous avons bel et bien sacré notre camp, ce qui est différent - pour un monde meilleur qui ne sent pas le pipi et où les gens ne sont pas ternes.
La suite de nos aventures dans un prochain billet.
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