Un soir, sur la rue Sainte-Catherine.
Dans le coin du Métropolis.
Je marchais avec ma mère. On revenait d'un spectacle à la Place des Arts. Ensuite, on est allées manger dans un restaurant de qualité de haut niveau. Le genre de resto que je ne me paye jamais. Trop cher, trop bon.
Moi, mon budget ne me permet que les petites places pas chères et sympatoches, au menu honnête, bon, agréable, sans être enlevant, pour une gourmande exigeante comme moi.
Mais cette soirée-là, je m'étais dit : au yiâble les dépenses ! J'ai une job ! Soyons fous !
Alors on marchait, sur Sainte-Cathon, digérant notre repas, quand on a croisé un jeune, un adolescent, ça aurait pu être en enfant. Il boitait, tendait la main, et clamait, d'une voix vacillante : aidez-moi !
Réflexe : regarder ailleurs. On ne l'a pas vu. On continue d'avancer, on trace, ça ne nous regarde pas.
Nous savons que, quelques pas plus loin, cette détresse aura sombré dans l'anonymat du Grand Montréal.
Mais, quelques pas plus loin, quelque chose grossit dans mon ventre. Comme un pincement, une douleur, une tristesse.
Je dis à ma mère : C'est fou comme la ville crée une distance entre nous et les autres. On aurait été dans un village, on se serait arrêtées pour l'aider. Nous, on ne l'a même pas regardé.
Ma mère, aussi rongée par le remords : C'est vrai... il avait peut-être vraiment besoin d'aide.
Moi : on ne sait pas. On ne sait jamais.
Dans un même élan, nous avons rebroussé chemin pour retrouver l'enfant.
Arrivées à lui, ma mère lui demande : As-tu besoin d'aide ?
L'enfant : Oui, j'ai besoin d'argent pour rentrer chez moi !
Ma mère : Et tu habites où ?
L'enfant : Au métro Frontenac.
Ma mère : Alors, si je te donne l'argent nécessaire, tu prends le métro et rentres chez toi ? Y a-t-il des centres qui t'aident, que tu peux aller voir ?
L'enfant : Oui! Moi je veux pas rentrer chez moi, je veux de l'argent pour me faire plaisir ! Il faut que j'aie du plaisir dans la vie!
Ma mère : Mais on ne va pas te donner de l'argent pour le plaisir... as-tu vraiment besoin d'aide ?
L'enfant : Tu dis que j'ai pas le droit d'avoir du plaisir ? Tu me fais de la peine! TU ME FAIS DE LA PEINE! a-t-il hurlé.
Et il a lancé sa poignée de monnaie au visage de ma mère. On l'a regardé se retourner vers d'autres gens, tendre la main vers eux, laissant tout son petit change rouler sur l'asphalte sale de Sainte-Catherine.
Ma mère et moi avons poursuivi notre chemin. Avec le même trouble dans le ventre.
Mais cette fois-ci, ce n'était plus du remords. C'était l'impuissance devant une détresse contre laquelle on ne pouvait plus rien.
Un contraste qui frappe, après avoir mangé un si bon repas, après une chic soirée au théâtre.
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